Les
agences de voyages, tout comme les compagnies aériennes, se retrouvent en
février 2021 « au fond du baril »,
laissées seules. L’urgence est aujourd’hui à la survie des entreprises et au
souhait du maintien des compétences jusqu’à la relance. Mais comment tout de
même imaginer l’avenir ?
Motivé par sa foi, convaincu que l’alcool est une
plaie sociale, Thomas Cook, le premier « agent de voyages » de
l’Histoire, lance le tourisme organisé le 5 juillet 1841 avec 500 activistes
de la tempérance par un voyage de 12 milles en train de Leicester à Loughborough
en Grande-Bretagne. Motivation sociale,
transport collectif, coût accessible : notions fondamentales du tourisme durable. Ce
premier voyage est prémonitoire de l’avenir du métier au XXIe siècle,
période post-COVID.
Le tourisme populaire ne prit naissance qu’après la Seconde guerre mondiale avec l’arrivée des semaines de travail de 5 jours, de semaines complètes de vacances et la montée de la richesse d’une nouvelle classe moyenne. Ici au Québec, les premiers agents de voyages s’activèrent timidement (dont Charles Paradis à Charlesbourg qui organisa son premier voyage, par autobus en 1950, pour aller voir les décombres de la ville de Rimouski, incendiée).
Pour faire cliché, un bon agent de voyage (devenu aujourd’hui « conseiller/conseillère ») sait écouter les besoins de ses clients, gère efficacement sa recherche et ses dossiers électroniques et a visité lui-même les lieux recommandés à ses clients.
Et maintenant ?
On le sait tous, les voyages internationaux avec le
passeport sanitaire vont reprendre d’ici 1 an incluant le tourisme de
masse, mais beaucoup de voyageurs auront changé, notre monde covidien ayant accéléré
les transformations qui étaient jusqu’ici latentes : conscience du
privilège de voyager, fragilité et décadence de la biodiversité de la planète ; citoyens
conscients que leur bonheur exige une « gestion» des visiteurs ; modèle
économique à croissance illimitée insoutenable, devenu en plus vraiment inéquitable
et surtout les changements climatiques qui forceront les transformations
rapides de tous les aspects de nos vies, dont le télétravail, l’agriculture
locale, le transport plus collectif….
Pour l’industrie du voyage, un tourisme durable
passera nécessairement par une répartition plus juste des retombées économiques
des touristes, forçant ainsi le questionnement sur le coût et la pertinence des
intermédiaires entre le voyageur qui paie, les emplois générés localement par
la vente et surtout les retombées dans les milieux visités.
D’agent de voyages à agent actif du changement
Les agences de voyages ont vécu leur premier choc avec l’arrivée d’Internet, fin des années ’90 et la crainte de voir échapper les touristes internautes qui réservent directement les fournisseurs ou via une agence enligne (OTA).
Mais ces craintes étaient exagérées telles que je
l’avais prédit en entrevue au journaliste André Désirond à l’époque, ayant été la patron moi-même de la première agence
à mettre en ligne un site Web au Québec - 100 pages - en 1995. Évidemment, les agences
traditionnelles ont survécu, car la croissance des voyages internationaux était
jusqu’en 2019 constante et elles répondaient aux attentes de certains types de
clientèles.
Tourism Australia estimait il y a 15 ans, le
nombre de voyageurs internationaux, ces « experience
seekers » qui cherchent des voyages de sens et
transformationnels au contact des populations locales, à 30 % versus les touristes
à 70 %, ceux qui consomment les voyages au soleil ou dans les destinations
classiques de style Vegas, Venise ou Dubaï.
Dans la période post-Covid, on verra la proportion
s’inverser d’ici 10 ans. Pourquoi ? Le
voyageur demain voudra :
1.
Découvrir des destinations en
minimisant son empreinte carbone partout dans la chaîne des fournisseurs
touristiques par des choix et/ou des compensations réelles en évitant
l’écoblanchiment ;
2.
S’assurer que ses $$$ impactent
positivement les milieux locaux visités dans le respect des résidents ;
3.
Vivre des expériences réellement
transformationnelles ;
4.
Savoir quelles sont les destinations
sécuritaires (sanitairement et physiquement parlant) dans le contexte de
pauvreté augmentée et de réfugiés climatiques nombreux en plus d’avoir
l’assurance d’être rapatrié en cas d’une crise soudaine.
Ce n’est pas Expedia ou Booking qui peut répondre à
ces attentes. Ce n’est pas en réservant directement non plus auprès des
fournisseurs, étant donné la difficulté et la complexité de qualifier les
renseignements fournis.
Uniquement un agent de voyage post-COVID pourra
répondre à l’appel. De conseiller technique jusqu’en 2020 à « coach
multidisciplinaire », l’agent de voyage se transformera en véritable professionnel qualifié. Il devient agent
de développement local s’assurant d’offrir des séjours bénéfiques aux
milieux visités ; psychologue en proposant des
séjours « de sens » selon les attentes individuelles des voyageurs ; gardien
de la planète en ne recommandant que des services réellement durables
évitant pollution et protégeant la biodiversité ; infirmier
en maîtrisant les pratiques et processus sanitaires internationaux ; agent
de sécurité par une maîtrise en temps réel de ces enjeux pour chacune
des destinations proposées aux voyageurs.
Le tourisme va rebondir, mais différemment ; le
tourisme de masse va revenir, mais les règles locales changeront — lire ici mon dernier texte à ce sujet — et le voyage transformé, durable rependra sa place
de « service essentiel »
pour les voyageurs (lire « plaidoyer pour le tourisme »)
La pause forcée actuelle devrait inspirer les propriétaires d’agences de voyages à imaginer cette transformation prometteuse et nécessaire pour leur entreprise. Dès 2012, c’est ce qu’a entamé une agence de Montréal, Passion Terre animée par Isabelle Pécheux. D’autres comme Richard Remy des Karavaniers, Jason Lehoux d’Authentik Canada et Jean-Christophe Viard de Toundra Voyages baignent aussi dans ce nouveau tourisme depuis quelques années.
De marché de niche pour certains professionnels, le segment des voyageurs supplantera à moyen terme les touristes, ces consommateurs à outrance de biens et de services, dans le contexte des changements climatiques et de la capacité réelle de notre planète.
Jean-Michel Perron
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