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Tourisme au Québec : déni face à l’urgence climatique PARTIE II : Le déni expliqué par le facteur humain

 


En première partie, dans une autre chronique, j’avais fait le constat de la faible performance de la destination " Québec" en durabilité. Aujourd’hui, comment expliquer qu’on n’agit pas en conséquence, sachant l’urgence ? Mes recherches pointent vers L'INERTIE SYSTÉMIQUE comme le frein majeur à la transformation de  notre industrie touristique québécoise. Cette inertie, elle-même provoquée par des biais psychologiques de personnes en poste d'autorité, semble expliquer qu'ailleurs sur la planète des destinations comparables (Finlande, Nouvelle-Zélande...) agissent, elles, avec brio, comme le commande l'urgence climatique, tout en assurant la croissance responsable de leurs entreprises.

On comprend que les gaz à effet de serre (GES) et leurs corollaires, le réchauffement climatique, la pollution, la dilapidation des ressources qui ne sont pas illimitées et les risques de pandémie représentent des menaces existentielles qui ne connaissent pas de frontières et auxquelles font face tous les humains. Un large consensus scientifique  confirme que les changements climatiques s’accélèrent plus vite que prévu :

Les scientifiques ont constaté que les températures mondiales au cours des 12 derniers mois étaient de 1,62 °C supérieur à la moyenne de 1850-1900

La température record des océans en 2023 a choqué les scientifiques; les eaux se réchauffant à des niveaux jusque-là impensables. Et il semble que ce ne soit pas une anomalie : au premier semestre 2024, les niveaux de chaleur à la surface des océans ont dépassé les sommets atteints l’année précédente.

Près de 50 % de la superficie terrestre mondiale touchée par au moins un mois de sécheresse extrême en 2024.

(sources dans dossier de novembre 2024 The Guardian

Je cherche sincèrement à comprendre notre refus d’agir en tourisme collectivement  avec plus de conviction et d’empressement; en se dotant d’un plan stratégique digne de ce nom avec les mêmes budgets actuels de fonds publics, mais orientés vers nos réelles priorités environnementales, en abattant les silos entre nos organisations et entre les différents paliers décisionnels (ministères, municipalités, secteurs connexes comme le transport et l’énergie, la recherche universitaire, etc.) . 

Je le dis ici sans aucune ironie: que des gens aussi intelligents  et dédiés sincèrement à leur fonction, comme nos leaders d’organisations en tourisme – à titre d’exemples -  Geneviève , Caroline, Yves, Robert, François et  Véronyque puissent continuer de prioriser la croissance du tourisme par le seul indicateur des retombées économiques au détriment de l’urgence environnementale est irréel de mon point de vue.  Pourtant, chacune de ces personnes parle de l’importance d’un tourisme durable et responsable; mets en place des programmes, des actions et des formations, mais on ne sent pas la priorisation de l’urgence d’agir réellement en faisant tomber les barrières qui nous empêchent de devenir une destination et une industrie responsable. Ceci ne peut s’expliquer alors que  par des biais cognitifs souvent répandus dans nos sociétés. 

Alors, cherchons à comprendre pourquoi il en est ainsi.

Psychologie, biais et inertie systémique

En raison de la nature de la façon dont beaucoup d’êtres humains ressentent la peur, il est difficile de relier cette émotion à un phénomène aussi vaste et complexe que la crise climatique. Selon Brian Lickel, un psychologue social qui étudie les réactions humaines face aux menaces, nous ne sommes pas conçus pour rester longtemps dans un état de peur intense. « Une caractéristique fondamentale du type normal de réaction émotionnelle attendue est l’adaptation hédonique », a-t-il déclaré. « Notre système émotionnel face à la peur est conçu pour être instable…»

En fait, les humains ont tendance à s’adapter aux facteurs de stress, et ce de deux façons, selon Susan Clayton, une psychologue qui étudie la relation entre les humains et la nature. Face à une peur, il y a deux choses que nous pouvons gérer : la situation ou notre réaction à la situation. Étant donné que la crise climatique n’est pas quelque chose que nous pouvons gérer sur le moment et que la plupart des gens ne la comprennent même pas pleinement, nous choisissons souvent de l’ignorer pour protéger notre moi émotionnel. « Nous sommes vraiment très doués pour éviter les choses qui nous dérangent dans de nombreux cas », a-t-elle déclaré. « C’est du déni. »

Dans son nouveau livre, Albert Moukheiber,  docteur en neurosciences et psychologue clinicien, déboulonne l’explication que ce soit uniquement notre cerveau qui crée le déni, qu’il serait anti-écologique. 

« Le striatum de notre cerveau, mentionné dans le livre «  Le bug humain »  est présenté comme une structure responsable du plaisir qui raffole de récompenses instantanées…(JMP : donc contraire aux contraintes comme consommer moins) Or, comme je l’explique dans mon livre, nos comportements ne sont pas réductibles à notre cerveau seul…Nos comportements dépendent d’une boucle de rétroaction entre un cerveau, un corps et un contexte et ce dernier est beaucoup plus pertinent pour expliquer des comportements anti-écolo que notre cerveau : des pubs, une culture qui prône la consommation, des offres sur des activités délétères pour la planète etc… Évidemment, savoir est nécessaire, mais l’erreur c’est de croire que c’est suffisant. Or, beaucoup d’exemples nous montrent que ce n’est pas le cas. Tout le monde ou presque savait que fumer tue, mais nous n’avons pas arrêté de fumer en intérieur avant que la loi sur le sujet ne passe. Beaucoup souffrent d’obésité alors qu’ils possèdent les informations nécessaires pour avoir une bonne hygiène de vie. Nos comportements dépendent aussi de nos environnements…nous avons besoin d’agencer nos sociétés pour qu’on puisse agir sur nos connaissances, sinon, on n’y arrive pas. Le fameux quand “on veut, on peut”, ne fonctionne pas si le “on” est l’individu, par contre si le “on” devient ce triptyque cerveau-corps-contexte, alors, on commence à augmenter nos chances de franchir le trou “intention-action” et d’aligner nos comportements et nos informations.

D’un côté la résistance au changement à l’échelle individuelle n’est pas fondée scientifiquement, mais de l’autre la résistance au changement est très bien étudiée au niveau des organisations et des systèmes : l’inertie systémique. Malheureusement, la transition écologique nécessite avant tout un changement sociétal et donc, même si à l’échelle individuelle, on n’est pas particulièrement résistant aux changements, nos systèmes eux sont dans une dynamique qui, pour le moment, continuent à s’obstiner à résister aux changements nécessaires pour une planète habitable par la biosphère actuelle. »

L’importance du rôle du cerveau étant mis dans un contexte plus large, on identifie tout de même différents biais (schéma de pensée exagéré qui n'est pas basé sur des faits concrets) qui nous empêchent de prendre les bonnes décisions, dans ce cas-ci pour la Nature et nos enfants.  

1. Le biais de confirmation, bien connu en psychologie. On tend à sélectionner les informations – vraies ou fausses – qui renforcent nos préconceptions, nos croyances. Et on met de côté les informations que l’on ne veut pas entendre. C’est un mécanisme très ancré dans notre cerveau, qui a permis aux humains de survivre depuis la nuit des temps, mais qui peut aussi nous nuire collectivement. Un bel exemple de déni ICI dans le Journal de Montréal. 

2. Un autre biais cognitif qui fait que l’on ne passe pas à l’action même si on juge que ce serait important de le faire. C’est ce que les psychologues nomment la diffusion de la responsabilité ou l’effet spectateur. Les expériences en psychologie ont montré que, si on est seul à pouvoir agir en un lieu et à un moment donné pour régler une situation urgente – pour aider une victime d’une agression, par exemple – en général, on intervient. Mais plus il y a de témoins de la scène, moins chaque personne se sent interpellée. On s’observe l’un l’autre dans l’attentisme. Dans un très grand groupe, le résultat est souvent que personne n’agit.

3. Un autre biais cognitif est celui de l’impuissance acquise. Même parmi ceux qui sont convaincus des effets dévastateurs de la comète dans le film « Déni cosmique » (ou des changements climatiques, dans le monde réel), beaucoup n’agissent pas, car ils se sentent impuissants. On a l’impression que c’est impossible de changer les choses, malgré tous les efforts qu’on y mettrait. Ça semble trop gros; c’est une fatalité. On peut faire le parallèle avec la désinformation. À quoi bon essayer de changer les choses, c’est plus grand que moi. Mais il s’agit d’une perception. La somme des petits gestes individuels peut altérer le cours des événements si suffisamment de gens mettent l’épaule à la roue. Le catastrophisme ou la «  findumondisme » participe souvent à  ce biais.

4. Le biais de halo est le fait qu’on tend à croire davantage une nouvelle ou une information quand elle est relayée par une vedette ou une personne connue.

5. Le biais de popularité, lui, vient renforcer le tout. Le phénomène est que, si beaucoup de gens partagent une nouvelle sur les réseaux sociaux, on a plus tendance à croire qu’elle est véridique, comparativement à la même nouvelle propagée par un petit nombre d’utilisateurs.

6. Le rôle des émotions, un autre biais cognitif. Les fausses nouvelles et ceux qui les créent misent sur le fait qu’on réagit fortement à la peur, à la surprise ou au dégoût. Les contenus qui provoquent chez nous de telles émotions seront davantage consultés et partagés.

7. Technosolutionisme. On se convainc que les nouvelles technologies vont nous permettent de diminuer notre empreinte carbone, la pollution et restaurer la biodiversité ou vont le faire avec certitude à 100% plus tôt que tard. Et sans changer nos comportements de vie comme prendre l’avion souvent et/ou en compensant. Évidemment, scientifiquement, c’est faux tel qu’expliqué dans ce reportage du journal Le Monde. En passant, il n’y a pas de solutions technologiques à court terme  pour diminuer significativement les GES des avions 

Nous sommes nombreux à en avoir conscience  de ces biais. Adopter des modes de vie plus écologiques est devenu une nécessité. Pour autant, nous n’agissons pas de manière écologiquement vertueuse en toutes circonstances (loin de là), et, surtout, nous nous accordons, parfois inconsciemment, des « écarts » après avoir fourni une bonne action sur le plan environnemental. C’est ce qu’on appelle « l’effet de compensation morale » (une précédente « bonne action » peut vous déculpabiliser et vous inciter à en réaliser une « mauvaise ») que cet excellent dossier ICI explique en détail.

Je trouve d’ailleurs que de nombreux touristes vivent leur voyage dans la compensation morale : «  J’ai travaillé fort toute l’année, j’ai de la pression familiale et au travail, je fais des efforts pour recycler et faire plus de vélo….alors fichez-moi la paix avec mes GES aériens… ». Une récente étude de MadeinVote pour Flower Campings disait tout haut ce qu’un grand nombre de voyageurs pensent tout bas, à savoir que ces derniers ne souhaitent pas changer leurs habitudes en matière de vacances pour être en phase avec les enjeux environnementaux, le rapport annuel du géant de la réservation Booking.com appuie cette dichotomie entre la conscience d’agir pour la planète et la conception des congés.

Mais revenons au déni de nos organisations touristiques.


SOLUTIONS

Il faut prendre  conscience de l’impact de ces biais psychologiques que nous avons tous. 

Pour briser l'inertie systémique, permettre de vrais débats sur nos enjeux réels  en tourisme au Québec (l’événement des Grands Remous à Québec en janvier prochain sera un bon test à  cet effet)

Réaliser l’impact que l’on a sur les autres dont les PMEs touristiques, lesquelles voient bien que le degré de priorisation  réel de nos gouvernements face aux changements  à accomplir pour participer activement à  se décarboner, diminuer la pollution, s’adapter et régénérer la Nature doit être relevé.

Voir comment d’autres destinations touristiques (Finlande, Nouvelle-Zélande, Australie, Croatie….) parviennent à contourner ces biais et osent agir rapidement, avec audace et en soutien réel aux PMEs touristiques.

Éviter de se noyer dans des actions non impactantes. «  Le risque est que les entreprises, les collectivités et les universités investissent du temps et de l’argent dans des formations qui ne contribuent pas à un changement réel des comportements, mais donnent simplement l’image que l’on « fait quelque chose » car il n’existe aucune preuve de l’impact d’une formation de sensibilisation aux enjeux climatiques sur les comportements » pour limiter le réchauffement climatique. » (Rustam Romaniuc , Professeur d’économie comportementale à Montpellier Business School). 

Nos gouvernements doivent utiliser le bâton et la carotte plus sérieusement. Une étude sur le comportement des citoyens s’applique également aux entreprises : une recherche de 2023  démontre qu’en plus d’imiter ses voisins, les incitatifs financiers constituent l’approche optimale pour provoquer le changement. 

Pour terminer et conclure sur la dimension psychologique face aux changements climatiques, voyez cette excellente vidéo/reportage de 15 minutes de Radio-Canada sur le sujet. 


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Jean-Michel Perron

PARTIE I : Les constats 

À venir :

PARTIE III : Gouvernance à bonifier


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