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Tourisme au Québec : déni face à l’urgence climatique (partie I de III)

 


Cette « Une » du journal Le Monde de vendredi 25 octobre dernier serait impensable en Amérique du Nord, même ici au Québec.  Car nous sommes comme les acteurs dans le film «  Don’t Look-up » : autant les citoyens que les élus ne veulent pas croire, malgré les avis des scientifiques qu’une comète va frapper et détruire la Terre. Ce film est inspiré par la crise climatique actuelle.

PARTIE I : CONSTAT

Technosolutionisme : la solution ? PIB : l’unique cible ? Écoblanchiment : la norme !

La planète se réchauffe rapidement, la biodiversité est en péril, la pollution augmente et les ressources diminuent sans parler des multicrises (iniquité de la richesse, division mondiale en deux blocs Chine/USA, désinformation, numérique toxique avec contrôle d’oligarques, crise démocratique et de valeurs…),  ce que le sociologue danois Nikolaj Schultz appelle le mal de Terre afin de « caractériser ce double “bouleversement”, celui de l’humain et celui de la Terre qui tremblent simultanément. 

Je suis conscient qu’il nous faut des nouvelles positives dans nos vies et que le discours écologique en tourisme est loin de faire l’unanimité, mais pour  garantir les retombées économiques de notre secteur dans les prochaines années,  il nous faut passer par une lecture lucide de la situation actuelle et appliquer les solutions, pourtant là présentes devant nos yeux. A nous de les saisir. Cessons cet angélisme béat qui salue l’approche «  petitspastisme », irresponsable selon un large consensus scientifique face à l’urgence planétaire . 

On fait des colloques  sur le tourisme durable ici et à l’international; on se fait quotidiennement des » like » boomerang sur les médias sociaux pour se convaincre qu’on agit bien, avec des  photos de groupes standardisés et de larges sourires, comme les vieux qui dansent tous pareil dans les pubs télé, avec leurs petits-enfants... On écoute nos technosolutionistes qui détournent le discours et les fonds publics dédiés au tourisme durable au Québec  en se drapant maintenant du vocable «  durable » sans en considérer les véritables fondements. En cette période d’austérité gouvernementale qui débute, nous devons faire les bons choix. 

La transition durable de notre tourisme ne fonctionne pas à la vitesse qu’elle devrait. Contrairement à de multiples destinations touristiques qui réussissent à se mobiliser, nous n’avons encore en 2024, COLLECTIVEMENTaucune idée si notre secteur se décarbonise, aucune stratégie crédible pour atteindre nos objectifs…., objectifs qui  d’ailleurs n’existent même pas ! Nous sommes baignés dans l’action en ordre dispersé. Nous n’avons pu convaincre une majorité d’entreprises que de s’engager réellement en durabilité, c’est non seulement la bonne chose à faire, mais que ce sera aussi rentable.

La majorité des entreprises en tourisme et nos leaders qui mènent le bal sont en déni de l’urgence d’agir maintenant. On se dit que les carburants d’aviation durables (SAF) arrivent (ce qui est vrai, mais marginal en % et dans 15 ans minimum pour tous les avions), que les technologies vertes et l’IA vont tout régler (ce qui est faux) et qu’en conséquence, il nous faut poursuivre notre seule cible qui importe : augmenter le PIB du tourisme, même si ça nécessite de faire de l’écoblanchiment. 

Les mots politiquement positifs  «  développement durable,  tourisme durable et responsable », aujourd’hui galvaudés, ne veulent plus rien dire tellement on nage dans l’écoblanchiment et que trop souvent nous demeurons dans le conceptuel , loin de la réalité quotidienne des PMEs (« régénératif » par-ci, «  imaginaires » par là). Bref, on  vend mal la durabilité et l’urgence d’agir. 

Notre manière collective d’être face au climat, c’est comme si notre maison brûlait pendant qu’on se fait, bien relaxes,  un BBQ entre chums dans la cour arrière, sous le rythme de la chanson «  Plus rien » des Cowboys Fringants mais sans écouter les paroles. On se dit que les gicleurs vont nécessairement faire leur travail et que l’important est de continuer à ce que la maison prenne de la valeur. Mais les gicleurs ne fonctionnent pas dans la réalité. La maison continue de bruler.

Sur le terrain, de multiples  PMEs touristiques convaincues, malgré la précarité financière causée par la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre et la hausse des coûts, agissent concrètement pour la planète. On les connaît, vous êtes les vraies leaders, celles qui montrez l’avenir de notre tourisme. Mais elles demeurent encore largement minoritaires. Ce qu’on observe DANS LA RÉALITÉ : vite une certification complétée par une firme de consultants et on passe à un autre appel dans le quotidien… Le recyclage ? souvent trop compliqué;  le compostage? Parlons-en même pas  et un bilan GES, pour quoi faire ?

Le retard du Québec pris  depuis 3 ans malgré les millions de dollars de fonds publics - comme destination touristique de calibre international qui se veut verte et responsable-  est réel. On ne tient pas du tout la route face aux pays scandinaves, à l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Croatie, la Slovénie….

Pourquoi parler de déni ? Parce que la transition durable du Québec en tourisme ne peut fonctionner sans connaître l’état des lieux (impact du tourisme sur les GES, la biodiversité et la pollution), se doter d’objectifs mesurables et d’une feuille de route concrète et partagée alignée avec des moyens financiers conséquents.  On ne peut performer sans des  données et sans des  indicateurs de performance crédibles. Il nous faut un plan de match collectif au lieu de dizaines d’acteurs du tourisme qui ne peuvent jouer,  leur «  game » dans la «  game » pour paraphraser  le coach Martin Saint-Louis. Le manque de leadeship et de priorisation  de l’Alliance et du MTO est évident. Ce plan de match existe pourtant, depuis 2023, basé sur les meilleures pratiques à l’international…Mais qu’en fait-on ?

Les actions que nous réalisons collectivement et celles de PMEs touristiques sont multiples, on n’a qu’à penser au plan d’action de Tourisme Québec, le parcours durable pour les AT de l’Alliance, la création de Tourisme durable Québec (TDQ), le Fonds géré par le FQDD ou encore la mise en place des certifications GreenStep, Biosphère ou Clé verte.  Le hic, c’est qu’on s’étourdit dans l’action sans en mesurer réellement les impacts réels. Il faut comprendre alors pourquoi en durabilité, nous sommes si peu performants, au-delà des apparences. D’où l’importance de parler  subséquemment du rôle du cerveau humain et de la gouvernance en tourisme, les deux causes de ce triste constat.

« Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la Piroque, c'est-à-dire du voyage, de l'arrachement à soi-même, et le besoin de l'Arbre, c'est-à-dire de l'enracinement, de l'identité, et les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l'un,tantôt à l'autre jusqu'au jour où ils comprennent que c'est avec l'Arbre qu'on fabrique la Pirogue. »  

                                                       (Mythe mélanésien de Île de Vanuatu)


JEAN-MICHEL PERRON


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