Entrevue avec Frédéric Asselin, président du regroupement « Québec Vélo de Montagne » de la région de Québec et directeur général de Vallée-Bras-du-Nord.
Tu es président de Québec Vélo de Montagne; quel est ce regroupement?
Nous sommes cinq stations (Le Massif, Mont-Sainte-Anne, Sentiers du Moulin, E47 et Vallée Bras-du-Nord) qui avons décidé de vivre pleinement la « coopétition », et ce, depuis 2014, alors que les enjeux de développement étaient importants: le manque de kilomètres de sentiers, peu de services et d’infrastructures offerts, la qualité du produit sur le terrain, le peu de rentabilité, etc.
À l’époque, nous n’étions que trois centres (MSA, SDM et VBN) plutôt en démarrage, mais avec une très grande volonté de développement et une vision clairement ambitieuse de faire de cette activité un produit d’appel touristique fort qui serait ancré de façon durable dans nos communautés respectives. C’est d’ailleurs grâce au leadership et au soutien indéfectible de l’Office du tourisme de Québec (Destination Québec cité aujourd’hui) que nous nous sommes regroupés avec, comme modèle d’inspiration, une association semblable en Écosse, les Seven Stanes (7 stations de vélo de montagne regroupées).
Photo: Frédéric Asselin
Dix ans plus tard, je crois que nous pouvons être fiers! Notre association compte maintenant 5 centres de grande envergure dans 4 MRC et 2 ATR. Nous avons réalisé trois plans stratégiques, ajouté deux nouvelles stations (E47 et Le Massif), des millions de dollars d’investissements directs dans le développement du produit et des infrastructures, des centaines de km de nouveaux sentiers, des dizaines de milliers de nouveaux pratiquants locaux, des retombées économiques se chiffrant annuellement à plusieurs millions de dollars dans nos municipalités et régions respectives; bref, c’est tout un écosystème relié au vélo de montagne qui s’est développé au bénéfice et au grand plaisir des nombreux commerces et hébergements qui y sont reliés. Mais ce qui est le plus important, selon moi, c’est que nos centres et leur réseau de sentiers respectifs sont réellement devenus une source de grande fierté pour la population et les jeunes de nos municipalités respectives. Nos centres de vélo attirent maintenant clairement de nouveaux investissements chez des commerces connexes. Ils permettent de valoriser les paysages et de protéger la biodiversité. Nos centres attirent de nouvelles familles à venir s’établir à proximité. Enfin, nos centres font sortir nos jeunes dehors ou en dehors de leur écran! Si ce n’est pas du tourisme durable ou régénératif, je ne sais pas ce que c’est!
Aujourd’hui, en 2024, grâce au support financier névralgique des 4 MRC (Jacques- Cartier, Portneuf, Côte-de-Beaupré et Charlevoix), de la Commission de la Capitale nationale et des deux ATR (Québec et Charlevoix), grâce également au support administratif de Destination Côte-de-Beaupré, nous avons maintenant un directeur à temps plein (Nicolas Labrecque-Sauvé) qui pilote une association unique et novatrice au Québec. Une association aux multiples actions qui est dotée d’un budget de 300 K$ annuellement.
Le VM est un sport/loisir qui a connu une forte progression; comment l’expliquer?
Plusieurs facteurs, selon moi, expliquent la « renaissance» du vélo de montagne depuis une quinzaine d’années au niveau mondial:
Premièrement, les nouvelles techniques d’aménagement de sentiers nous permettent maintenant d’offrir des réseaux vraiment plaisants à rouler et pour tous les niveaux de pratiquants. Les gens croient que c’est simple et peu coûteux d’aménager des sentiers; au contraire! Pour «designer» et développer un sentier de grande qualité qui sera durable dans le temps, et à faible impact environnemental, ça prend un bon mélange de visionnaires, d’artistes, d’ingénieurs, d’artisans, de bûcherons, de charpentiers, etc.
Mais avant tout, selon moi, pour arriver à développer une offre cohérente et inspirante qui fera réellement venir des touristes internationaux, il faut que chacun des centres comprenne parfaitement le potentiel de son territoire et qu’il le développe en innovant en conséquence, avec la meilleure expertise possible (interne ou externe), comme ce fut le cas chez nos membres. Pour vous donner quelques exemples, les Sentiers du Moulin au Lac-Beauport ont compris que leur terrain de jeu était très rocheux. Cela aurait pu, à priori, représenter un frein à leur développement, mais au contraire, grâce à la créativité, ils s’en sont servis à merveille! À la Vallée Bras-du-Nord, nous avons misé sur les paysages et la présence de nombreux cours d’eau afin de les mettre en valeur. Au Massif, ils ont misé sur la vue sur le fleuve, leur grand dénivelé. Au MSA, leur notoriété et la vaste étendue et diversité de leur réseau. Finalement, chez Empire 47 (E47), ils ont misé sur le développement de la pratique du sport, la diversité des sentiers, sans oublier leur réseau de fatbike qui en fait, nous le croyons, le plus grand centre mondial pour la pratique de cette activité!
Deuxièmement, les fabricants de vélos de montagne ont grandement amélioré leurs vélos: suspensions arrières, bancs mobiles, géomorphologie du vélo, plus léger, sans compter que le vélo électrique nous amène ailleurs: tu peux en faire plus longtemps, plus loin, et ça vient en quelque sorte démocratiser le sport en le rendant plus accessible.
Troisièmement, la pandémie de la COVID nous a donné un petit coup de main. Comme pour la plupart des activités de plein air, cela aura permis d’attirer de nouveaux adeptes vers le vélo de montagne, qui malgré un rééquilibre des volumes en tourisme de plein air en 2023, nous sont demeurés fidèles.
Quelles sont les tendances dans votre secteur?
Les gens qui ne connaissent pas ce sport ont encore tendance à penser que c’est un sport « extrême » et peu accessible. Or, on en a pour tous les goûts et tous les niveaux de pratiquants. Je fais souvent le parallèle avec le ski alpin. Le vélo de montagne est un sport « le fun », accessible ou challengeant selon le niveau du sentier (familial, expert ou autre), un sport complet (cardio, endurance, musculaire, etc.) où le pratiquant s’immerge dans une nature sauvage regorgeant de magnifiques paysages. Sans compter la notion de communauté qui se développe dans chacun des centres.
Et est-ce que la croissance va se poursuivre? Mon petit côté philosophe vous dirait que je me méfie de toutes les projections, car il y a maintenant trop de variables. Nous sommes évidemment affectés de plus en plus par les changements climatiques au niveau de l’entretien de nos sentiers (fortes pluies, crues de rivières, chaleur estivale, etc.). Toutefois, il semble clair que la saison de vélo risque de s’allonger. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le vélo de montagne est une pierre d’assise importante en loisir et sport et contribue à une approche de santé durable qui mise sur la prévention au lieu uniquement d’une approche coûteuse de notre système de soins de santé. D’avoir des centres d’une telle qualité près de la grande agglomération de Québec est un actif majeur, selon moi, pour la population locale, pour les jeunes, pour l’activité économique, pour la notoriété touristique et résidentielle, pour le milieu de vie. J’ai hâte que l’ensemble des élus le comprennent! Ça s’en vient, mais parfois ça prend du temps pour qu’ils réalisent la chance qu’ils ont que nous ayons développé à coup de centaines de milliers d’heures et (de dollars!) des réseaux d’une telle qualité qui font de la grande région de Québec un incontournable dans le palmarès des plus belles destinations mondiale pour la pratique de cette activité!
La région de Québec se positionne comment, en VM, par rapport au reste du Québec et par rapport au reste de l’Amérique?
Comme je le mentionnais précédemment, nous sommes très bien positionnés. Ça vient de partout au monde pour venir rouler à Québec. L’un des youtubers les plus populaires en vélo de montagne est venu au Québec grâce à notre alliance et l’une de ses vidéos tournées dans notre sentier La Légende à la Vallée Bras-du Nord a obtenu 22 millions de vues sur Instagram en 2023! Pour nos 5 stations de la région, c’est plus de 80 millions de vues seulement en 2023. On commence à parler, en jargon marketing, d’un marché plus que de « niche ». Ce n’est pas rien! Cela a eu un réel effet d’entrainement, car nous recevons depuis de nombreuses demandes d’instagrammeurs et autres pour venir réaliser des tournages dans nos centres. Ce qui renforce la notoriété et contribue à valoriser ce sport. Et ce, sans oublier que l’offre globale est démocratique et accessible pour tous et toutes et que plusieurs familles en ont fait leur sport de prédilection.
Le potentiel d’attractivité et de notoriété du vélo de montagne, pour une destination, a souvent été sous-estimé. En lisant les commentaires avec les milliers de vidéos qui circulent, nos stations font vivre des expériences mémorables qui propulsent la région de Québec et le Québec à l’international. Nous sommes classés parmi les 20 meilleures destinations de vélo de montagne au monde en 2023, selon le magazine Strava.
(Source : Instagram, Vallée-Bras-du-Nord, Saint-Raymond-de-Portneuf)
(Source : Instagram, E47, Lac Delage)
(Source : Instagram, Sentier du Moulin, Lac-Beauport)
Quels sont les enjeux des stations de VM de votre regroupement?
- D’ordre politique. De plus en plus, les municipalités au Québec voient les sentiers comme une infrastructure de loisirs et n'hésitent pas à investir pour les développer, mais parfois, comme on le voit présentement au Lac Delage avec E47, certaines administrations ne font pas la part des choses entre les inconvénients et les avantages qu'un centre de vélo de montagne apporte à leur population. Au lieu de travailler de concert avec l’OBNL en place, ils multiplient les démarches pour le discréditer, ce qui entraîne un gaspillage inutile d’énergie et de fonds publics.
- Financement. Comme tout produit ou toute entreprise, nous devons continuer d’innover et d’investir dans notre produit. Bien que nous ayons une base de revenus générés, nous ne sommes pas soutenus par un fond saoudien! Il faut constamment rappeler que nous avons et nous aurons toujours besoin du support financier et politique des secteurs publics pour poursuivre notre développement, le renouveler. Les décideurs doivent comprendre que le vélo de montagne est un exemple extraordinaire de développement durable (pour la santé, pour les jeunes, pour les retombées économiques locales et régionales, pour la protection de l’environnement, etc.). Les investissements ont de réelles retombées à tous les niveaux; c’est probablement l’un de leurs meilleurs investissements « holistiques », en fait!
- Il nous faudrait des programmes (une réserve) en prévision des changements climatiques et de ses aléas multiples à venir. Tout comme avec l’assurance agricole pour les producteurs.
Comment comptez-vous poursuivre votre développement dans le futur?
Poursuivre le renouvellement et la structuration du produit ensemble avec les multiples partenaires locaux et régionaux; créer une passe touristique de séjour « commune » pour l’ensemble des stations; continuer de se comparer (benchmark) aux meilleurs centres de vélo au monde; faire connaître l’importance du VM aux acteurs politiques, initier davantage de nouveaux pratiquants, notamment des jeunes; favoriser le bénévolat dans nos communautés; organiser en 2025 un symposium international du vélo de montagne à Québec et continuer d’aller rouler!
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Jean-Michel Perron
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