La semaine dernière, nous apprenions qu’Ottawa accordait 22,5 $millions au Port de Québec pour l’électrification des quais accueillant les navires de croisières internationales. Le gouvernement du Québec s’apprête à contribuer, avec possiblement le Port de Québec, pour la balance 32,5M$.
Deux lois seront ainsi bafouées contrevenant au principe de pollueur-payeur : « …les entreprises ou les personnes qui polluent devraient payer les coûts qu'elles infligent à la société. » (Loi canadienne sur la protection de l'environnement et la Loi sur le développement durable du Québec, article 6,o).
Les compagnies de croisière milliardaires, dont la majorité résident dans les paradis fiscaux, ne payant pas ainsi d’impôt au Québec, exigent que ce soit 100% de l’argent des contribuables québécois et canadiens pour ainsi retirer l’air pollué à quai provenant de leurs moteurs qui tournent 24/24. Même les compagnies canadiennes les plus polluantes – les pétrolières de l’Ouest – recevront du fédéral en moyenne un 50% en crédit d’impôt maximum pour se décarboner. Pas 100%.
Évidemment qu’ il faut des bornes électriques à quai. Selon une étude de l’Ademe, l’agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, un navire de croisière à quai pendant une heure émet autant que 30 000 véhicules à essence roulant à 30 km/h. Mais pas à n’importe quel prix pour notre société.
Ces navires, certes spectaculaires à observer avec nos couleurs d’automne, cachent des réalités moins «cartes postales» car ils contribuent fortement au réchauffement climatique, à la pollution de l’air et de nos eaux du Saint-Laurent participant à la perte de biodiversité, à l’extraction massive de ressources naturelles, à la surconsommation à bord et au gaspillage alimentaire, à l’exacerbation de résidents dans plusieurs villes, à des conditions de travail douteuses à bord des navires; bref, un symbole puissant de ce que le tourisme ne peut et ne doit plus être. Consultez tous les détails dans un document que j’ai publié l’an passé.
Lors du congrès international du tourisme à Berlin en mars dernier, le dirigeant de l’une des plus anciennes compagnies de croisières au monde, la Hurtigruten de Norvège, critiquait directement Mme Laurent, représentante de l’association des Croisières internationales. Quatre citations éclairantes de M. Daniel Skjeldam, le CEO, dans cet échange sur vidéo : « C’est aux gouvernements et aux ports à mettre leurs exigences envers les compagnies de croisières. »; « Vous dites, Mme Laurent, vouloir devenir durable en 2050, mais que vous ne pouvez agir plus rapidement. Pourtant, demain matin, comme 50% des navires de vos membres fonctionnent encore au mazout lourd, ils pourraient au moins utiliser le Marine Gas Oil, moins polluant, mais ils ne le font pas, car cette essence est plus chère… »; « Nous avons, comme industrie, 10 ans, pas 25 ans, pour se transformer durablement, sinon, on court à notre perte… »; « Le problème, avec les gros navires, c’est qu’ils ne laissent pas assez de retombées locales. »
Et justifier de telles subventions au Port de Québec sur les seules retombées économiques, ne tient pas la route surtout lorsqu’elles sont reconnues comme étant exagérées, tel que démontré pour les ports d’Halifax et de la Colombie-Britannique.
Autre considération, subventionner à 100% les bornes à quai est inéquitable et envoie un mauvais message à nos entreprises touristiques privées d’ici, largement moins polluantes, qui génèrent, elles, des emplois directs, mais qui peinent à investir dans les technologies vertes pour leur transition durable et dans des mesures d’adaptation aux changements climatiques, faute d’un financement accessible. Au mieux, elles vont recevoir un 50% en contribution remboursable ou non remboursable sur des programmes aux budgets limités.
Est-ce ça le modèle de développement durable qu’on se souhaite pour le Québec? Les profits aux multinationales et les dépenses pour nous? Tout ça, sans débat ni modèle de financement alternatif?
L’avenir des croisières au Québec - le Saint-Laurent et le fjord du Saguenay sont des bijoux naturels - passe par la priorisation de plus petits navires avec des compagnies responsables (ex : Ponant et Viking). Et pourquoi pas, rêver de faire comme la Norvège, avec l’émergence d’une compagnie québécoise de croisières haut de gamme, desservant les ports du Québec en priorité et sous des critères élevés de durabilité dont l’abandon total des énergies fossiles. La navigation en mer, l’amour des grands espaces naturels, l’originalité de nos terroirs et l’accueil chaleureux font partie intégrante de notre ADN collectif.
Jean-Michel Perron
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