De quoi sera fait notre tourisme?
Faire un exercice d’anticipation en tourisme dans le contexte actuel est risqué, car personne ne contrôle les variables de la crise (durée réelle de la vague, une seconde vague à venir?, profondeur de la crise économique, certificats d’immunité?, date d’arrivée des vaccins/médicaments), mais je me lance tout de même afin de contribuer humblement à une éventuelle sortie de crise.
Plus le confinement, mais surtout l’absence de vaccins se poursuivent, plus les changements comportementaux dictés par la peur et/ou la prudence des touristes seront profonds et permanents, même longtemps après la fin de la pandémie. D’ailleurs, après la pandémie, ce sera probablement l’endémie. Donc, une crainte de retour viral permanente sous une forme ou une autre.
Le choc est certes brutal, inédit depuis le début du tourisme de masse arrivé juste après la seconde guerre mondiale. La ligne de croissance des voyageurs internationaux n’est pas brisée, elle est cassée. Tous en conviennent. Les pertes seront gargantuesques. Les changements structurels parmi les gros joueurs de l’industrie et nos PMEs, inévitables. Malgré les programmes de soutien, la survie pure et simple devient un enjeu pour les entreprises avec peu de réserves financières. Ainsi, l’obtention par les PME québécoises d’un prêt de 50 000$ via leur MRC et les subventions salariales peuvent permettre de passer au travers de 2020 malgré une haute saison écourtée, mais le volume des clients en 2021 ne compensera pas les pertes de revenus de 2020 et il faudra rembourser ce prêt... Le nombre de visiteurs québécois au Québec, espérons-le en croissance dans les prochains mois, ne compensera pas les niveaux des dépenses perdues des visiteurs américains et français.
La croissance mondiale du tourisme en 2020 devait être à 3,9%, dont 4,5% en Amérique du Nord. L’OMT (Organisation mondiale du tourisme) prédit au minimum une baisse de 20% à 30%. La dernière grande crise économique avait entraîné une baisse de 4% du tourisme en 2009. En 2003, la baisse avait été de seulement 0,4 % après l’épidémie de Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), qui avait tué 774 personnes dans le monde.
NOMBRE DE TOURISTES INTERNATIONAUX SUR NOTRE PLANÈTE
Estimé de la chute en date du 27 mars 2020. De 25 millions de touristes internationaux en 1950 à 1,5 milliard en 2019, à un maximum de 1 milliard en 2020. On reviendrait alors au mieux au niveau de 2010. Évidemment, les dates d’ouverture des frontières et des déconfinements par pays viendront probablement diminuer encore plus le nombre de touristes en 2020.
Source : OMT / PAR Conseils
TROIS PHASES À VENIR :
PHASE 1 : Le tourisme 2m (de mai à l’arrivée des vaccins)
Avec la consigne de respecter le 2 mètres (Tourisme 2m) de distance entre les individus en public, les comportements touristiques des Québécois au Québec en 2020 vont encourager les excursionnistes et les séjours permettant de maintenir une qualité d’expérience en tourisme 2m tout en se reconnectant avec la nature et la Terre.
Les opportunités sont :
- Le camping/glamping car permet de contrôler son logis et ses repas tout en pouvant interagir avec les autres
- Les chalets locatifs (ceux permettant du multiactivité)
- Les pourvoiries
- Les plages
- Les routes et les circuits touristiques
- L’agrotourisme
- Les parcs et les réserves naturelles
- La motoneige
- Le ski
Les actions suivantes devraient être considérées à très court terme :
- Crédit d’impôt pour les voyageurs québécois et canadiens voyageant au Québec et au Canada pour 2020 et 2021.
- Soutenir la trésorerie des entreprises touristiques. Je crains que les programmes d’urgence actuels, à cause de la lente reprise du tourisme à venir, ne suffiront pas. Il importe de créer une ligne d’urgence (guichet unique) pour les PME en tourisme avec un soutien financier adapté afin de permettre à certaines de se rendre en 2022…
- Pour notre industrie, il importe d’uniformiser rapidement les normes du «Tourisme 2M» (lavage de mains, 2 mètres, masques, transfert d’objets, etc.) à travers toutes nos entreprises afin que les visiteurs ne soient pas confrontés à toutes sortes de consignes, des fois contradictoires…
- Campagne de mise en marché intra-Québec UNIFIÉE et dynamique pour les voyages ici. L’important sera de faire passer le message: «On est ouverts, on est 2M, achetez local».
- Campagne auprès de nos entreprises pour elles-mêmes, acheter local.
- Mise en place de certificats d’immunité permettant d’offrir du personnel de première ligne en contact avec les visiteurs.
- Tenter de coordonner (si sanitairement c’est logique) la fin des confinements de nos principaux marchés avec l’ouverture de nos frontières. Mais avec un contrôle individuel aux frontières (prise de température, détection de symptômes) à la «sud-coréenne».
- Tous les soutiens financiers étatiques aux entreprises et aux organisations doivent exiger le respect des principes du développement durable et des mesures d’atténuation du réchauffement climatique.
PHASE II : Après l’arrivée des vaccins/médicaments (2021)
L’hiver prochain (au plus tôt), le ou les vaccins devraient être disponibles, inoculés en priorité au personnel des services essentiels. Ce sera le signal pour les voyageurs potentiels non affectés par la crise économique de reprendre les déplacements internationaux, mais uniquement vers des destinations garantissant une sécurité virale et permettant de vivre des expériences au contact de «vraies personnes» locales… Participer à des rassemblements (incluant les croisières) va demeurer une préoccupation majeure pour les 50 ans+ de peur de voir apparaître une autre sorte/variante de coronavirus.
Tristement : on dit adieu aux poignées de main, aux accolades et aux bisous pour au moins 1 an…
Toutes les destinations ayant subi le surtourisme jusqu’à récemment (Venise, Barcelone, etc.) viennent de recevoir involontairement tout un vaccin contre cette tare. Elles seront les plus pénalisées dans la relance du tourisme; les nouveaux touristes recherchant encore plus l’authenticité de contacts personnalisées et de la nature.
Pour le tourisme au Québec, il s’agit dès maintenant de planifier l’ouverture sur le tourisme international, uniquement à compter de la saison estivale 2021 en frappant très fort.
Coordination entre les vols internationaux, attraits & services et marketing. Notre positionnement doit se transformer drastiquement en combattant la peur: «On est prêt à vous recevoir, on a va prendre soin de vous, on est sécuritaire, on est le remède à votre désir de liberté et de contacts humains» en vantant nos grands espaces, notre personnel chaleureux et notre excellent bilan COVID-19. Bref, le Québec célèbre la vie et venez vous joindre à nous!
Accréditation reconnue et largement publicisée «Hygiène +» des PME (taxis, restaurants, hébergement, événements, etc.). Cahier de normes d’hygiène renforcées pour toutes les entreprises sur une base volontaire. Tout comme après le 11 septembre 2001, on s’est habitué aux règles plus strictes de sécurité dans les aéroports, je crois qu’on s’habituera à des contrôles d’hygiène stricts et la détection préventive de virus lors des grands rassemblements, même après la fin de la pandémie.
Achat local et maximisation des retombées au Québec. Par exemple, en hôtellerie, il faut trouver une manière de canaliser les ventes en soutenant financièrement pour 3 ans minimum, une plateforme transactionnelle québécoise afin que des gens comme moi qui dépensons des milliers de dollars au Québec annuellement via les Trivago et les Booking.com de ce monde, pourrons migrer vers celle-ci permettant d’augmenter sensiblement les revenus des hôteliers québécois en coupant la commission aux OTA (agences en ligne).
Uniformiser à travers toute la «chaîne touristique» les conditions d’annulation pour les voyageurs incluant les compagnies aériennes canadiennes, qui légalement peuvent actuellement refuser le remboursement, en permettant une plus grande flexibilité. Ce serait une grande valeur ajoutée en marketing pour le Québec, car cela permettrait d’encourager les réservations précoces.
Maintenant, la question à 1 M$ : Quand retrouverons-nous le niveau touristique avant COVID-19? La World Travel & Tourism Council mentionne que la moyenne pour revenir à une situation «précrise sanitaire» mondiale (ex : SRAS) est de 19,4 mois. Mais qu’entre 2001 et 2018, à travers 4 crises différentes (terrorisme, sanitaire, économique), la moyenne était passée de 26 mois en 2001 à 10 mois en 2018. Les voyageurs s’habituaient donc aux crises. Personnellement, je pense que la situation de COVID-19 est totalement différente parce qu’elle touche tous les pays en même temps, frappe fort en nombre de décès et d’infections, mais surtout impacte massivement sur l’économie. Je douterais qu’un retour à notre performance touristique de 2019 puisse se produire avant 2023… En passant voyez le document préparé juste avant COVID-19 par la WTTC (Crisis Readiness) sur comment se préparer aux crises en tourisme.
PHASE III : Anticiper sérieusement la crise climatique
Il faut savoir gérer l’inévitable pour ne pas devoir gérer l’ingérable.
On a tous eu peur avec ce virus? COVID-19 change la donne en ce qui concerne la crise climatique. Contrairement au réchauffement climatique, la planète a réagi au virus avec fermeté, uniquement parce que les impacts se sont fait sentir instantanément.
Il y aura possiblement d’autres méchants virus dans l’avenir, mais il y a et il y aura une crise climatique dont les impacts peuvent être modulés selon nos actions aujourd’hui comme société, citoyen et acteur touristique. Si nous n’agissons pas aujourd’hui, il n’y aura pas de vaccin miracle pour guérir les impacts majeurs et irréversibles du réchauffement climatique. La crise du COVID-19 a de positif, malgré les nombreux décès et les souffrances engendrées, qu’elle nous permet de réaliser ceci:
- Une catastrophe planétaire mortelle est arrivée et pourrait se produire à nouveau.
- On peut changer drastiquement nos habitudes vie lorsqu’on y est contraint.
- La science doit avoir priorité sur l’économie, la politique et la religion. La chimie, la biologie et la physique constituent le réel!
- Comme société, nous avons les moyens financiers pour transformer rapidement et en profondeur nos façons de travailler, de produire et de vivre.
Le Québec ne peut compter que sur lui-même en cas de désastre majeur et nous sommes privilégiés par nos grands espaces naturels, le peu de pollution atmosphérique et notre capacité en situation de crise de se tenir ensemble.
J’en profite pour féliciter le gouvernement du Québec (autant notre premier ministre que les fonctionnaires) et du Canada pour leurs réactions posées et responsables face à cette crise, ainsi que nos organisations touristiques régionales, sectorielles et nationales qui se sont mises rapidement en mode urgence et d’écoute de nous tous. Nous ne sommes pas seuls, heureusement, et nous avons de plus l’opportunité dans cette épreuve de créer un nouveau tourisme.
Jean-Michel Perron
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